À l’époque du Think Big et du voisin gonflable, où le surendettement est un fléau qui touche une grande partie de la population, un membre de notre profession a dé- cidé de faire les choses autrement. Le Dr Charles Rochette de la promotion 2010 avait déjà un esprit entrepreneurial dès la petite école. En effet, il portait les bracelets, tous les bracelets que sa sœur fabriquait afin de les mettre en valeur et de les vendre à ses camarades. C’est en 2010 que l’entrepreneur en lui se lance le défi d’ouvrir une clinique vétérinaire sans recourir au financement et en mettant directe- ment la main à la pâte. C’est le résultat admira- ble de beaucoup de recherche, d’imagination fertile, d’ingéniosité et d’huile de bras, que je vous présente aujourd’hui.
Ainsi, en 2010, il commence à chercher le local idéal pour accueillir sa future clinique. Il porte son choix final en octobre 2012, sur un immeu- ble condominium résidentiel situé dans un zo- nage commercial rue Ontario, en plein cœur du Village. Dire que les copropriétaires étaient en- chantés de l’arrivée d’un établissement vétéri- naire est un euphémisme. Cela a plutôt soulevé la grogne des voisins qui craignaient surtout de la pollution par le bruit. Prenant le taureau par les cornes, le Dr Rochette a décidé de protéger les oreilles sensibles des copropriétaires en in- sonorisant lui-même les murs du sous-sol avec du béton... en plus de devenir président de la copropriété !
S’ensuivent deux années de dur labeur où, tel le Dr Jekyll et Mr Hide, notre sympathique protagoniste jouait le jour le rôle du Dr Rochette et le soir, celui de Mr Rénove! À temps plein, il pratiquait dans des établissements vétérinaires privés, à la SPCA, en plus de faire du remplacement. Tard le soir (ce que la plupart d’entre nous qualifieraient de nuit), il devenait entrepreneur. Le mot est faible de dire que plusieurs nuits ont été très courtes. Heureusement, pendant toute la durée de l’aménagement, ce dernier habitait dans la clinique. Ainsi, il pouvait s’en- dormir paisiblement après plusieurs heures de travail, dans le lit mural de ce qui était en train de devenir la salle préop. Et comme il y avait cuisine et salle de bain, il suffisait de repartir à neuf le lendemain matin.
Toujours dans l’optique de ne pas s’endetter, le Dr Rochette a passé de nombreuses heures à magasiner des matériaux, chercher des trucs à récupérer dans les bacs de recyclage et les en- trepôts, faire aller ses méninges pour défaire et reconstruire autrement certains mobiliers. Les exemples sont multiples: les armoires de la salle pharmacie proviennent de chez IKEA, auparavant dans l’atelier de ses parents et que le Dr Rochette a complètement démontées et remontées à son goût. Les vitres des portes cou- lissantes de la salle de chirurgie ont été récupé- rées dans les poubelles, la lampe de chirurgie consiste en deux supports pour télévision atta- chés ensemble sur lesquels il a installé une dou- zaine de spots, la table de chirurgie est posée sur un pied de chaise de coiffeur et il a bricolé un bouton pressoir mis au pied de la table de chirurgie pour avertir par walkie-talkie une TSA qu’on a besoin d’assistance en chirurgie. « Cela était nécessaire, car même si nous travaillons sur une petite superficie (559 pieds carrés au 1er étage et 387 pieds carrés au sous-sol), on cherche toujours les gens! »
Le 1er juillet 2014, jour de l’ouverture officielle, la clinique était prête pour recevoir son premier client. Je vous invite à mon tour à venir admirer le travail.
En passant la porte, le Dr Rochette m’accueille en me disant « Bienvenue dans la plus petite clinique vétérinaire du monde! » Je ne sais pas si c’est vrai, mais il est cer- tain que les dimensions sont ‘‘grandement’’ impressionnantes. Il fau- drait contacter les éditeurs du Livre des records pour vérifier! À la réception, tous les murs sont érigés en tablettes de style caisson et un banc sert de rangement. « Tout est calculé au millimètre près... Il ne faudrait pas que les conserves de nourriture changent de format! » En face de ce banc se trouve un ordinateur à écran intégré sur trépied. C’est essentiellement pour héberger la vitrine vétérinaire, car vu l’exiguïté des lieux, c’est impossible de tout avoir en stock. Cela permet ainsi aux clients de magasiner pendant qu’ils attendent. « Quoique chez nous, les clients n’attendent pas longtemps. On ne peut pas se permettre de pren- dre du retard, la façon dont la clinique est conçue stimule les médecins vétérinaires à être à l’heure dans leur rendez-vous. Ça nous force aussi à bien gérer l’horaire. » Il y a aussi un arbre dans la salle d’attente. En fait, cette jolie décoration, faite à la main, bien entendu, est le résultat d’une bévue. La mise en place d’un tuyau d’aération avait été oubliée... et avoir un inesthétique conduit à cet endroit était hors de question. Pour le camoufler, le Dr Rochette y a collé, morceau par morceau, de l’écorce d’arbre, qu’il avait lui-même épluché à partir de bûches.
La clinique dispose d’une salle de consultation munie de deux portes coulissantes. Le plancher est en imitation de céramique et est légère- ment plus haut que le reste de l’établissement, car il a été monté de quelques centimètres afin d’y loger la balance intégrée au sol. Par souci d’ergonomie, la table d’examen se replie si plus d’espace est nécessaire au plancher.
Un peu plus loin, la partie arrière de l’établissement commence. L’ancienne cuisine, qui arbore encore une cuisinière, une hotte et un lave-vaisselle – une précaution que le Dr Rochette avait gardée en cas d’insuccès de l’entreprise et qui quittera donc prochainement la clinique – s’est métamorphosée en salle de traitement et laboratoire. L’ancien comptoir de cuisine fait maintenant office de laboratoire et trois cages sont disponibles pour les animaux hospitalisés et pour les réveils des patients ayant subi une chirurgie. Ces cages ont la particularité.
d’avoir chacune un élément chauffant sous leur céramique de porcelaine et les portes sont en plexiglas. C’est aussi là que l’on retrouve les ins- truments de laboratoire et la bibliothèque. Du haut de mon petit 5 pi 1 po, je me suis rendu compte assez vite que beaucoup de choses sont rangées en hauteur pour maximiser l’utilisation de l’espace. Ainsi, pour accommoder les em- ployés de taille modeste, de petits escabeaux sont disponibles un peu partout... afin que ces derniers se sentent plus grands !
Un peu plus loin, on arrive dans la pharmacie et la salle préop. Tout le matériel nécessaire au bon déroulement des anesthésies générales, par exemple les seringues, cathéters et tubes endo- trachéaux sont rangés dans des coffres ‘‘Husky’’. Le garde-robe de la chambre a été conservé et sert d’entrepôt de nourriture. Le lit mural est encore là... en cas de besoin. La salle préop et celle de la chirurgie sont séparées par des portes vitrées coulissantes dont nous avons déjà parlé. Aussi, c’est là qu’un écran géant dif- fuse en direct des images sur ce qui se passe ail- leurs dans la clinique. En effet, de multiples caméras sont présentes dans tout l’établisse- ment. Les cages de la chatterie, du chenil et des contagieux étant au sous-sol, un système audio- visuel permet de voir tous les patients... et aussi de savoir si la TSA est en bas au lieu de la cher- cher éperdument dans ce labyrinthe sur deux étages. « Les caméras sont vraiment un bon coup de la clinique, mais parfois, ça nous fait plus peur qu’autre chose : on pense qu’un ani- mal va moins bien et on descend en catastrophe pour réaliser qu’il est simplement endormi! »
Au sous-sol, on retrouve le chenil de trois enclos situés sous l’escalier, la chatterie de douze cages, le local des contagieux de cinq cages pour chats et d’un enclos pour chien, la salle de ra- diographie et d’échographie, appareils qui ont tous deux été récupérés du Centre DMV. Comme mentionné précédemment, tous les murs sont en béton, érigés lors des activités nocturnes. Des drains favorisent le nettoyage des enclos et les portes, fabriquées de matériaux récupérés, ont été faites à la main, vous le saviez déjà, par nul autre que le propriétaire des lieux.
Selon le Dr Rochette, les bons coups pour son établissement sont l’absence de dettes, l’excellente visibilité (ce qu’il considère une des choses les plus importantes pour toute entre- prise), la table de chirurgie ainsi que la lampe de chirurgie, la maximisation de l’espace et le plancher en PVC (un matériau solide et peu dis- pendieux... même si les TSA le détestent, car elles trouvent le motif difficile à nettoyer). Les revers sont le plancher de la salle de consulta- tion qui n’est pas assez résistant et montre déjà des signes d’usure. Le congélateur est situé au sous-sol, ce qui est peu pratique pour l’équipe et pour l’employé du centre de crémation. « J’ai dû installer un coussin au plafond du sous-sol parce que le gars de la compagnie d’incinération se cognait toujours la tête! »
La clinique emploie deux médecins vétérinaires à temps plein, Dre Karo-lina Zajda, M.V., MON2010 et Dr Charles Rochette, M.V., MON2010, deux méde- cins vétérinaires à temps partiel, Dre Mélissa Carrier, M.V., MON2009 et Dr Stephane Meder Vincileoni, M.V., MON2008, quatre TSA, Arielle Pro- vencal, Erika Rao, Evelyn Sparklez et Valerie Fronterotta, un étudiant TSA, Calvin Moy et une commis comptable, Lucie Lafranchise, pour desservir une clientèle féline et canine.
Le Dr Rochette est heureux, mais surpris par les excellents résultats de son entreprise. « Je suis surpris d’avoir autant de succès, car il y a beaucoup de cliniques à Montréal. Le seul contre-coup de cette réussite est que la clinique présente plus d’usure que prévu après deux ans d’exploitation puisqu’on surutilise les lieux. Bientôt, on ne sera plus capable de prendre d’autres clients. Il faudra ouvrir une autre clinique ailleurs, car nous sommes déjà à nos heures d’ouverture maximales. » Quand je lui demande s’il prévoit déménager sa clinique dans un local plus spa- cieux, il me répond : « Je ne peux pas, mon âme est dans ces murs... j’aurais pu partir plus gros, mais là, je vais devoir attendre que le voisin vende... ou sinon ouvrir une deuxième clinique ailleurs. »
Et comme le Dr Rochette a toujours un mini- mum de mille projets en tête et de mille autres en cours d’exécution, je suis curieuse de voir son prochain bébé : une roulotte motorisée modèle 1994 qu’il a démolie et remontée en cli- nique de stérilisation mobile pour desservir des refuges et une clientèle cible. Elle est prête. Il ne reste plus que l’approbation de l’OMVQ.
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